Le Dernier Chant d'Orphée de Robert Silverberg dans le numéro de novembre de SF Mag :

 

En semi-retraite littéraire depuis une dizaine d’années, écrivant ici et là quelques nouvelles, occupé à compiler des anthologies de qualité, Robert Silverberg nous offre ici son texte le plus long depuis Roma AEterna, qui remonte à 2003 déjà… Immense auteur de science-fiction, Silverberg est aussi un fin amateur d’histoire antique et de mythologie, et c’est dans cette veine – celle de Gilgamesh, Roi d’Ourouk – qu’il nous revient avec Le Dernier chant d’Orphée, novella publiée en 2010 aux États-Unis. 
 
Qui ne connait le mythe d’Orphée, fils d’Apollon, maintes fois revisité depuis des siècles et des siècles ? Sa façon de jouer de la lyre à nulle autre pareille, son amour fou pour Eurydice, sa descente aux Enfers pour y arracher à Hadès sa bien-aimée trop tôt perdue. C’est de cette histoire éternelle que Silverberg nous propose sa relecture, tout en explorant jusqu’à son terme tragique la vie aventureuse d’Orphée, l’amenant, entre autres faits marquants, à croiser le chemin de Jason et ses Argonautes, et à régner sur Thrace. 
 
Comme d’autres avant lui, Silverberg use de raccourcis et prend quelques libertés avec le mythe, mais cela n’a que peu d’importance. Ce qui compte avant tout, c’est de pouvoir à nouveau se laisser bercer par la plume d’un écrivain qui n’a rien à envier aux plus grands de la littérature générale, bien au contraire. Grâce, poésie, fluidité, telles sont les qualités d’une écriture qui procure un incontestable plaisir de lecture, quels que soient les sujets abordés par Silverberg. Quand il s’agit du temps, de la mort, de l’éternité, le plaisir n’en est que plus grand, même s’il est teinté de la mélancolie née du sentiment des jours enfuis, des compagnons perdus, des lieux laissés derrière soi, c’est-à-dire de la vie qui s’écoule encore et encore, jusqu’à la dernière goutte. 
 
Tout comme Silverberg s’offre un agréable voyage avec de vieux amis dont la compagnie lui est chère, tout amateur de l’écrivain aura le sentiment d’avoir l’occasion de reprendre la route avec un auteur qui l’a fait rêver – le cycle de Majipoor – mais aussi réfléchir – L’Homme dans le labyrinthe, Un Jeu cruel, Les Monades urbaines… il y en aurait bien trop à citer. Les cerises sur le gâteau sont au nombre de deux : une préface de Pierre-Paul Durastanti qui en peu de pages cerne avec pertinence la place de cette novella dans la carrière du grand Bob, et une longue interview menée par Éric Holstein, que Silverberg n’a pas ménagé par ses réponses, sûrement animé par la franchise de l’âge et la certitude de n’avoir plus rien à prouver. Un appareil critique qu’il serait de bon aloi d’avoir plus souvent à disposition, en particulier dans les classiques ou les livres d’auteurs majeurs. 
 
Le Dernier chant d’Orphée est un récit à la première personne, un choix que fait souvent Silverberg pour ses textes les plus personnels, les plus intimes, ceux dans lesquels, toutes proportions gardées, il se livre le plus – L’Oreille interne, Le Temps des changements, Le Livre des crânes… « Ce sera mon dernier chant », dit la figure mythique en préambule de son récit. Un aveu de l’auteur au crépuscule de sa longue vie d’homme et d’artiste ? Nous ne pouvons l’imaginer, et préférons retenir cette phrase d’Orphée qui clôt le texte : « J’allais chanter jusqu’à mon dernier souffle ». Espérons qu’il en soit ainsi de Robert Silverberg, conteur hors pair dont la plume enchanteresse n’a rien à envier à la lyre magique de son héros. 
 
Hervé Lagoguey